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Michel-E. Proulx

SCOTT ROSS, CLAVECINISTE, Un destin inachevé

Biographie de Scott Ross, seconde partie I

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(biographie, 1èrepartie)

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II- NICE .

C'est ainsi que Scott, sa mère et son frèredébarquèrent à la gare de Nice pour voir ce quipouvait être fait pour l'inscription de Scott au Conservatoire.Scott y fut accueilli par Béatrice Clérici, une desélèves du Conservatoire, mandatée parce qu'ellesavait deux mots d'anglais, et ce fut là le début d'uneamitié qui, malgré les hauts et les bas, durerajusqu'à la fin. Il s'inscrit au Conservatoire de Musique dansla classe d'orgue de René Saorgin, puis, à la vue d'uneaffiche pour annoncer le cours de clavecin, il s'enquiert de lapossibilité de le suivre; et, comme il le dit lui-mêmedans une entrevue à Radio-Canada, «on est toujours bienreçu dans une classe de clavecin. Ils ont si peu demonde!» [1] .

Ce choix coïncidait certes avec ses goûts pour lamusique du XVIII° siècle, certes, mais on peut aussipenser, d'après Scott lui-même, qu'autant une boutade desa mère lui suggérant de faire quelque chose de plusexotique que le piano, que le fait que pour lui, le clavecin «était une licorne» [2], ‐‐ c'est à direquelque chose qu'on entend, dont on entend parler, mais qu'on ne voitjamais ‐‐, aient pu avoir une influence déterminante,parmi l'ensemble des éléments qui ont pu concourirà faire de lui ce qu'il est devenu. Il faut tout de mêmese rappeler ici l'âge du garçon à ce moment,c'est-à-dire tout juste treize ans, et aussi tenir compte decette anecdote que racontait Scott lui-même,c'est-à-dire le coup des punaises sur les marteaux du pianoque tant d'autres ont perpétré.

Huguette Grémy-Chauliac.

Huguette Grémy-Chauliac, la titulaire de la classe declavecin au Conservatoire de Nice, est une élèved'Antoine Geoffroy-Dechaume, auteur en 1964 d'un petit livred'érudition intitulé Les «secrets»de laMusique Ancienne [3] qui répertorie un maximum desconnaissances musicologiques d'alors sur l'interprétation dela musique antérieure à la Révolution. Quoiqueimparfait à plusieurs égards, (Scott en disait qu'ilavait «eu le tort de partir d'une idéepréconçue» [4]), ce livre était une pierremiliaire sur la route de la musique ancienne. HuguetteGrémy-Chauliac avait refiltré ce matériau afind'avoir un jeu expressif. Il fallait en effet être musicologuedans le contexte d'alors: il y avait encore des gens qui soutenaientque les notes inégales [5] n'existaient pas.

Béatrice Clérici qui était la condisciple deScott au Conservatoire, dit d'elle qu'elle était une«excellente pédagogue, méticuleuse, fine,affectueuse, soucieuse de son habillement et de sonparaître». Elle ajoute qu'à l'époque, elleavait comme assumé pour Scott un rôle de mère[6]. Scott lui-même déclarait volontiers qu'il luiétait redevable de sa facilité car elle lui avait«fait acquérir sa technique de manière sirationnelle»[7]. Kenneth Gilbert rapporte égalementl'avoir entendu dire volontiers qu'il lui devait tout [8].

(...)

(...)

De plus, le clavecin du Conservatoire, époque oblige,était un William de Blaise [10], de ces instruments dontPhilippe Beaussant dit qu'ils «étaient obèses pourrien. Leur petit son clair et mince ( représentait) une imagedu XVIII° siècle dégénérée,(...) par ce qu'elle avait emprunté au XIX°. Un son1900.» [11] Béatrice Clérici ajoute que le son decet instrument lui avait fait fuir la classe de clavecin [12] . Leclavier de ces instruments, ainsi que le mentionne Beaussant[13] ,devait tout à la technique du piano et étaitsubséquemment lourd et dur. La révolution de la facturede clavecins n'avait en effet pas encore pénétréjusque là. On verra au chapitre suivant ce qu'il en sera.

L'orgue.

Mais l'orgue restait toujours son premier amour. Aussis'inscrit-il en orgue avec René Saorgin qui,déjà, s'intéressait à la musique ancienneet à son interprétation à l'orgue. A sujet deSaorgin, on le décrit comme énigmatique, mal dans sapeau, passionné par l'orgue, pas vraiment bon professeur, maisnéanmoins méticuleux et sérieux dans sesinterprétations musicales. Mais ne vaut-il pas mieux un bonélève avec un mauvais pédagogue, que le contraire?

En 1967, il est nommé organiste à Monte-Carlo.

(...)

Quant à l'ambiance du Conservatoire de Nice, elleétait joyeuse débridée et bucolique, car il s'ytrouvait un jardin qui était un ancien parc de villa, enfriche. Scott, plus que fauché, dans une vie de bohêmed'adolescent livré à lui-même, partageaità tour de rôle les logements de ceux de ses condisciplesde conservatoire qui en avaient un, travaillait dix heures par jour,nageait dans la mer chaque fois qu'il le pouvait. Souvent, il pouvaitse faire enfermer dans le Conservatoire avec un copain pour jouerl'Art de la fugue toute la nuit jusqu'à ce qu'au petit matin,le concierge vienne les expulser [15]. Tous ceux qui l'ont connuà l'époque racontent à quel point il travaillaittout le temps, et que surtout déjà, il déclaraità qui voulait l'entendre qu'il serait le plus grandclaveciniste au monde [16]! On peine à imaginer ce que dutêtre sa vie d'adolescent dans ce contexte de dénuementet d'isolement familial.

Aujourd'hui encore, les témoins s'étonnent et sedemandent comment il arrivait à vivre; et lui-même serappelait ces années comme ayant étéextrêmement difficiles.

Nice lui restera pourtant toujours chère, et mêmequand il sera au Conservatoire de Paris, il y reviendra chaque foisqu'il le pourra, faisant régulièrement l'aller-retour.A la fin de sa vie, il demandera à Béatrice d'ychercher un appartement qu'ils pourraient partager, mais quand ellel'aura trouvé, il ne sera déjà plus temps, Scottse mourant [17] .


III- LE CHATEAU D'ASSAS.

En 1969, madame Christine Roustan, cherchant quelqu'un pour donnerdes cours de musique à ses enfants Marie-Laure et Guilhem, seprésente au Conservatoire et demande qu'on lui propose unélève. On lui présenta Odile Aurengo, quiétait une amie de Scott, avec qui elle parla du clavecin quesa mère venait d'acquérir. Elle fut donc invitéeau concert de fin d'année des élèves duConservatoire, pour écouter jouer l'ami claveciniste d'Odile.Elle fut stupéfaite [1] par sa manière de jouer etl'invita immédiatement à venir passer un week-end chezsa mère, au château d'Assas, à 12 km au nord deMontpellier. Ce devait être à Pâques ou àl'été 1969 [2].

(...)

Simone Demangel.

Une parenthèse est ici nécessaire quoiqu'elle devrarester synthétique, car il y aurait ici matièreà un ouvrage en soi.

Simone Demangel a été un personnage à partentière dans le paysage montpelliérain, voirefrançais. Fille de l'académicien Louis Gillet, elleépouse entre les deux guerres Robert Demangel qui est de l933à 1948 directeur de l'Ecole d'Athènes.

Pendant l'Occupation, Robert Demangel, replia sa famille surMontpellier où il enseigna et fut incidemment àl'origine du Musée des Moulages de l'Université PaulValéry. Au moment de l'occupation de la Zone Libre, leurmaison de Montpellier avait étéréquisitionnée par l'Etat-Major allemand. Uneconnaissance de Robert Demangel les avait alorshébergés au château d'Assas, magnifique«folie» montpelliéraine du XVIII°siècle, que Simone rachétera à la guerreterminée, après avoir figuré parmi les grandesfigures de la Résistance méridionale. Elle disaitqu'à cette époque, elle avait «fait du vélocomme jamais vous n'en ferez!», pédalant inlassablementsur son vélo, de nuit, pour aller porter de faux documents auxmaquis, et passant à l'occasion avec un flegme olympien entreles griffes de la Gestapo.

Elle ne va d'abord résider au château quel'été, puis, à partir des années '80,toute l'année.

Le clavecin du château.

Un jour, dans les années '70, on lui demande de garder pourquelques jours un clavecin ancien, après un concertdonné par Christiane Jaccotet, claveciniste suisse, àSaint-Mathieu de Tréviers. (Pour l'acheter...) Elle m'araconté comment elle avait dû courir pour emprunter lasomme nécessaire (...) à la Banque HypothécaireEuropéenne, ce qui lui avait permis, après toutes cespéripéties, de le garder.

C'est sur cet instrument que Scott enregistrera une bonne part desa discographie. (...)

(...)

Il a de plus servi à l'enregistrement du premier disque(Harmonia Mundi) français de musique ancienne, sur clavecinancien, (si l'on ne tient pas compte du cylindre enregistrépar Paul Brunold, en 1913), avec Lionel Rogg, dans la collectionPrestige du Clavecin [6].

Scott, donc trouve là son premier contact avec le clavecinancien, car, rappelons-le, à cette époque en France, onne trouve dans les conservatoires que des instruments de facture dite«moderne», lourds au toucher et aigres de son. Or, ceclavecin-ci, sans être parfait, fut pour lui le premierinstrument qui ait eu des qualités capables de devenir descritères de choix pour lui.

Qui plus est, il requérait quand même de l'entretien,car il s'agit tout de même d'un très vieil instrument,et il lui fallait constamment le régler, l'accorder,l'emplumer, remplacer les cordes cassées, etc.; il n'avaitd'autre prestige que celui d'être ancien, ce qui a puempêcher que le jeune Scott ne se laisse prendre au piège de l'antiquariat [7], de l'ancienneté pourelle-même, tout en lui permettant de faire ses armes sur uninstrument de facture ancienne: le parfait clavecin éducateur,donc.

C'est ainsi qu'il n'a jamais fait partie des inconditionnels del'instrument ancien restauré, qui lui, avait plutôttendance à l'exaspérer, dès que s'y produisaitun quelconque dysfonctionnement mécanique dû àl'âge, et c'est bien ce qui l'a amené à setrimballer son Willard Martin partout, chaque fois qu'il devaitdonner un concert, tellement il craignait de se retrouver àdevoir jouer sur un instrument à la mécaniqueincertaine.

Par ailleurs, il y avait dans ce château une ambiance touteparticulière faite de convivialité,d'informalité, qui le transformait en quelque chose depurement affectif, comme n'importe quelle maison où l'on sesent bien: elle n'est jamais parfaite, mais crée la sympathie.Et l'on peut dire qu'il y avait là tout l'antidote à cequ'on pourrait appeler le respect emperruqué, parce qu'on yvivait d'une façon qui était tout sauf guindée.Ces détails sont importants, je crois, pour qui veutcomprendre comment Scott pouvait jouer du clavecin d'une façonaussi vivante.

Un jour, une dame d'origine protestante, Arlette Heudron,organiste à Saint-Pierre-de-Chaillot, et qui faisait partied'une académie de musique ancienne à Saint-Diédans les Vosges, vint de Paris, en moto, donner un concert d'orgueà Saint-Guilhem-le-Désert, invitée par MoniqueBernat et Henri Prunières.

Elle était à la recherche d'un endroit oùorganiser une académie de musique ancienne, dans le midi,aussi Monique Bernat, de concert avec Simone Demangel luiproposèrent de l'aider. Simone offrit de tenirl'académie au château d'Assas, et Scott étoffa leprojet par des cours de clavecin. Il fut plus tard remplacépar Willem Jansen, professeur au Conservatoire de Toulouse. Lapremière de ces académies eut lieu en 1974, et Arlettedécéda vers 1978. Ces académies se poursuivirentun temps après son décès, jusqu'au débutdes années '80, avant d'être déplacées aupresbytère de Saint-Jean de Cuculles, puis de prendre fin.

Ces académies furent, elles-aussi, un puissant point dedépart pour Scott qui devait y donner ses premiersenseignements et y nouer bien des contacts utiles.

Il reviendra toujours, année après année, auchâteau d'Assas où il avait sa chambre, dans la toursud-ouest, avant de louer en 1983 la petite maison de lamontée du château où il devait finir ses jours.


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