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Michel-E. Proulx
SCOTT ROSS, CLAVECINISTE, Un destin inachevé
Biographie de Scott Ross, seconde partie II
PARIS: LE CONSERVATOIRE ET L'ATELIER.
| «Dans les Conservatoires, j'ai dû jouer des pièces écrites par des gens qui ne faisaient pas la différence entre un clavecin et un moteur diesel» [1] . |
Le Conservatoire National Supérieur de Paris.
En 1969, titulaire des Premiers Prix en clavecin et en orgue, Scott quitte le Conservatoire de Nice pour le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris où officient Robert Veyron-Lacroix et Laurence Boulay, en clavecin et basse chiffrée.
C'est à propos de ses années de Conservatoire que Scott formulait cette phrase assassine, racontant comment, lors d'un concert de Conservatoire où il devait jouer une pièce contemporaine en présence du compositeur, il avait à dessein chargé sur les «effets» voulus par ce dernier, histoire de lui faire honte, ou de le ridiculiser; et qu'à son grand désarroi, le dit compositeur était venu le féliciter de l'excellence de son exécution!
Il aura bien d'autres occasions de réagir ainsi.
L'atelier de la rue de Madrid.
A Paris, comme à Nice, Scott «squatte» chez ses amis. Un Pierre Dumoulin, employé du Musée Instrumental, ou la famille d'un certain Jean Mahondeau l'hébergeront entre autres. En fait, Scott ne se sent guère motivé par les cours du Conservatoire et passe plus de temps à traîner à l'atelier de restauration du Musée du Conservatoire qu'au Conservatoire lui-même. En effet, dans une autre entrevue 2, il dit sans ambages qu'il n'a eu guère de succès dans cette institution. Et qu'après avoir remporté le Grand Prix du Concours de Bruges, il avait décidé de laisser tomber le Conservatoire, tout simplement. En effet, ce Prix de Bruges était par excellence la preuve qu'il n'avait plus besoin d'y aller.
«Gagner dans un concours international, ça veut dire qu'en principe, on est à un niveau un petit peu supérieur».
De fait, il montrera, tout au long de sa vie, un manque évident de patience pour les circonstances où il n'aurait pas eu la vedette, et on peut bien dire que le cabotinage faisait partie de ses défauts. Dans le contexte, on veut bien l'en excuser: un jour, s'étant bagarré avec l'ami dont il partageait le logement, il s'était cassé le pouce. Il s'était donc plongé dans l'étude musicologique des doigtés anciens, et s'était mis à jouer sans le pouce, tout en exposant la théorie à qui voulait l'entendre, ce qui avait eu le donc de mettre Jacques Merlet hors de lui. Dans une entrevue à la revue Diapason3 , il mentionne, comme en passant, comme un aveu fugitif, que 1970 fut cette «année noire où (il fit) les quatre-cents coups et où (sa) mère mourut». En effet, jamais il ne parlait de ce suicide de sa mère, un peu comme s'il s'était agi d'une trahison.
Hubert Bédard.
J'aimerais ajouter un mot sur l'atelier. En 1967, à l'invitation de Mme de Chambure, conservateur du Musée instrumental du Conservatoire de Paris, et collectionneur elle-même, arrive à Paris le bostonnais Frank Hubbard, auteur d'une fraîche mais déjà incontournable somme sur la facture de clavecins4, pour fonder un atelier de restauration des clavecins. Il est accompagné d'un québécois de trente-trois ans, Hubert Bédard, son apprenti à Boston, et qui va rester à Paris. Le cheminement de ce dernier est d'ailleurs curieux5; d'abord étudiant en médecine, il se consacre à la musique en s'inscrivant au Conservatoire de Montréal, avant d'aller étudier à Vienne, puis un an avec Leonhardt à Amsterdam. S'intéressant dès lors à la facture, il se fera accepter chez Hubbard en 1963; une fois établi à Paris, il ne quittera plus la France; chassé du Musée Instrumental du Conservatoire par une de ces intrigues sordides dont la France a le secret, un temps installé au château de Maintenon, il s'installera plus tard à Brignoles (Var) et mourra quatre jours après Scott, le l7 juin '89.
Scott, donc, vient souvent à l'atelier où Kenneth Gilbert l'entendra pour la première fois. D'après ce dernier, lorsque Scott s'installait pour jouer, tout le monde se taisait6 . C'est ainsi qu'il se familiarisera avec la facture instrumentale, ce qui lui accordera des facilités techniques qui se révéleront souvent bien utiles par la suite.
Lorsqu'il quitte en 1971 le Conservatoire, après sa victoire de Bruges, il n'est, paradoxalement titulaire que d'un premier accessit en solfège et d'un autre en clavecin [7], ce qui en dit long sur l'importance pour sa formation de son passage dans cette institution.
Premier essai.
Revenons en arrière. En 1968, à 17 ans, Scott Ross se présente au concours de Bruges, où il arrive en demi-finale; Kenneth Gilbert raconte:
« Il est venu me voir après, parce que c'est la coutume, à Bruges: les candidats peuvent aller parler aux différents membres du jury pour leur demander leur avis. Il est donc venu me voir, et j'ai vu qu'il était... déçu. Je crois vraiment qu'il voulait avoir le premier prix. Ce que je trouvais peut-être un peu... prématuré, mais en même temps assez sympa comme attitude: j'ai compris tout de suite (...) que c'était un fonceur (...) et qu'il ne se contenterait jamais de moins que le meilleur».1
Kenneth Gilbert recommande donc à Scott de revenir au concours suivant, trois ans après, et de tout donner, cette fois là, car il a l'impression qu'il n'a pas fait de son mieux, comme souvent les adolescents, histoire de justifier à l'avance la défaite.
Retour à Bruges.
En l971, Scott monte dans le Hanomag-Henschel de Reinhardt von Nagel, représentant le facteur William Dowd, dont il était associé. Ils emportent à Bruges des clavecins et Scott, lui, revient se présenter au concours. Il a à peine 20 ans. Son apparition déclenche un murmure dans la salle. En effet, il est vêtu d'un jeans et porte les cheveux sur les épaules! A une époque qui, rappelons-le, était tout de même assez guindée dans son ensemble, à fortiori pour les Concours! De plus, il arrive au clavecin sans partitions, ce qui n'était pas très commun non plus, et attaque le Prélude et Fugue en Fa# majeur «comme s'il l'avait composé lui-même» ainsi que le glissa à Kenneth Gilbert un de ses collègues du jury, composé pour la circonstance, outre Gilbert, de Gustav Leonhardt, de I. Algrihm et de Colin Tilney. Scott, lui, dit qu'il avait accompli le plus grand nombre d'heures de travail par jour qu'il avait été possible, et que sa réussite au Concours avait été la consécration de ce travail [2].
Et c'est la victoire. Il obtient haut-la-main ce premier prix jamais attribué depuis sa création. A l'occasion, la maison d'éditions Heugel, lui offre, en hommage un assortiment des publications Le Pupitre, notamment les quatre volumes de Couperin. Mais, car il y a un mais, non seulement le prix n'est que de quatre mille francs belges, mais, chose étonnante, ce concours, le plus prestigieux de tous, ne débouche sur rien!
| Ce concours n'offrait aucun engagement. Je n'ai même pas été invité à donner un récital. |
Scott devait alors en faire le constat ahuri: rien, après un an, ne témoignait de sa réussite. Il lui fallait amèrement constater que les organisateurs de ce concours ne connaissaient en rein leur véritable importance propre [3].
Sortie du Conservatoire.
Scott décide aussi, pour le coup de quitter leConservatoire de Paris, comme on l'a vu plus haut [4], convaincu de n'avoir plus rien à apprendre dans cette institution. Par la suite, chaque fois qu'un journaliste voudra insister sur cette période, il ne manquera pas de laisser transparaître son irritation [5], car ceux-ci avaient facilement tendance à insister sur des idées recues, telles que son soi-disant autodidactisme, l'amenant à chaque fois à devoir rectifier le tir et à insister sur sa filiation musicale qui passe par Huguette Grémy-Chauliac et qui ne le rattache en rien à Wanda Landowska [6]. Par contre, il profite de ce qu'il est à Bruges, auprès de Kenneth Gilbert, pour lui demander de pouvoir travailler avec lui au Conservatoire Royal d'Anvers. Ce qui, d'ailleurs, ne manque pas d'étonner l'intéressé qui se demandait ce qu'un lauréat du Concours de Bruges pourrait bien trouver chez lui. [7]
De 1970 à 1972, Scott partage à Nice la villa La Muette, au 86 du Boulevard de Fabron, avec Odile Aurengo. C'est là que, pendant les vacances d'été, vient les rejoindre Kenneth Gilbert qui a prêté à Scott un clavecin de William Post Ross, facteur de l'école bostonnaise. Scott va ainsi donner une série de concerts au Palais Lascaris, dans le vieux Nice, puis enregistrer le Mr. Bach chez STIL.