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 Michel-E. Proulx

SCOTT ROSS, CLAVECINISTE, Un destin inachevé

Biographie de Scott Ross, troisième partie

(biographie, 2nde partieII)

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QUEBEC

«De toute façon, un héros est toujours un trouble-fête, qui vient retirer aux autres leur confort. Et plus il réussit, plus il se fait d'ennemis» (1).

(...)

L'Ecole de Musique de l'Université Laval.

Si l'Ecole (que nous appellerons désormais EMUL, selon ses initiales) a désormais ses locaux dans l'ancienne faculté de théologie, au début des années '70, elle occupait avec l'Ecole des Beaux-Arts une petite tour cernée de grands pins, face à la Bibliothèque Universitaire.

C'est là que Kenneth Gilbert, qui est titulaire de la classe de clavecin à l'Ecole de Musique de l'Université Laval (EMUL) de Québec, a son bureau. Mais en 1973, trop pris par ses engagements européens pour pouvoir convenablement assurer son enseignement, il propose à Scott de l'y remplacer. Scott arrive donc à Québec en octobre 1973, pour donner le premier des deux concerts que lui demandent les autorités de l'Université, afin de juger de ses capacités. N'oublions pas, en effet, qu'à part ses diplômes de Conservatoire, Scott ne dispose d'aucune autre scolarité. Il est accueilli à Québec par les Laforge, un couple ami de Kenneth Gilbert, qui vont l'héberger et l'aider à s'installer dans sa nouvelle vie.

En février, il revient pour le deuxième concert. Mais là, habitué à la douceur niçoise, c'est tout juste s'il ne se rembarque pas sur le champ, en voyant le climat dans lequel il déboule! Ceux qui auront goûté au climat de Québec en février le comprendront aisément. Et les Laforge ont besoin de toute leur force de persuasion pour le convaincre de n'en rien faire (2) .

Il commence à la rentrée '73 sa période d'enseignement à Québec, qui va durer 12 ans. Il est d'abord engagé comme chargé de cours, solution temporaire et instable dont on ne peut dire qu'elle le satisfasse beaucoup. Parallèlement, il loue un petit appartement au loyer modéré, sis rue Sous-le-fort, à la basse-ville, au pied de l'escalier Casse-cou qui prolonge la Côte de la Montagne. Ce quartier de la Place Royale commence à peine à être l'objet des travaux de restauration du patrimoine qui en feront le piège à touristes qu'il est devenu par la suite. C'est encore un quartier très populaire, en fait, aux loyers très bas, dans des maisons des XVII° et XVIII° siècles non entretenues depuis bien longtemps. Hubert Laforge lui prête alors un clavecin à un clavier de sa fabrication qui occupe à lui tout seul la seconde de l'enfilade de trois petites pièces. Sans doute ce quartier évoque-t-il pour lui le vieux Nice, avec la proximité du port: il y demeurera deux ans, avant de s'installer rue Ste-Angèle, au coin de la rue St-Jean, dans la partie haute du vieux Québec.

Son contrat de chargé de cours avec L'UniversitéLaval sera renouvelé quatre années de suite, ce qui nemanque pas de l'agacer, car il aura toujours une très hauteconscience de sa valeur. Ce n'est qu'en 1977 que l'EMUL lui accorderason premier contrat à titre de professeur en probation,à temps partiel, pour trois-quarts de temps, et ce pour unedurée de trois ans, à compter du premier septembre,c'est-à-dire la rentrée '77. Il est à ce momentresponsable de la classe de clavecin à raison de huit heurespar semaine, des ateliers de musique baroque à raison dequatre heures, des cours de stylistique appliquée, de deuxheures de cours de basse chiffrée, de la supervision desauxiliaires, et participe à des activités de rechercheen informatique musicale, avec son collègue, Martin Prevel,professeur de guitare, aujourd'hui décédé (3).

Dans son appartement de la rue Ste-Angèle, il commence à rassembler ses collections de minéraux, et, dans une pièce du fond de l'appartement, il monte un métier à tisser qu'il vient d'acheter. Il aimait beaucoup cet appartement où il se trouvait bien moins à l'étroit que rue Sous-le-fort, et dont les fenêtres donnaient sur la rue St-Jean qui est la principale artère du Vieux-Québec. A l'intérieur, le mur mitoyen portait les stigmates de la reconstruction de la rue au XIX° siècle, et les irrégularités du mur formaient des corniches sur lesquelles portaient ses collections. Sous les toits, une mezzanine située dans la pièce de devant faisait office de chambre à coucher.

C'est à cette époque qu'il reçoit son clavecin construit par le facteur américain Willard Martin qu'il avait connu à Paris où ce dernier travaillait alors à l'atelier William Dowd (aujourd'hui Atelier von Nagel), et qui s'était entretemps installé dans sa ville natale de Bethlehem, en Pennsylvanie, ce qui en faisait presque un compatriote (pennsylvanien, s'entend...). Cet instrument à deux claviers venait enfin remplacer l'instrument à un seul clavier, prêté par Hubert Laforge, qui ne pouvait lui suffire pour le travail quotidien, et, au contraire de l'appartement de la rue Sous-le-Fort, le séjour était largement assez grand pour que le dit clavecin n'y fut pas trop à l'étroit.

Départ pour Limoilou.

Mais, suite à un différend avec son propriétaire, il lui faut déménager. Il choisit d'émigrer à Limoilou, un quartier ouvrier de la basse-ville de Québec où les loyers sont très abordables pour la surface, au numéro 551 de la 3ème Avenue. Il y occupe un grand appartement de cinq pièces y compris la cuisine, presque vide de meubles, où il installe son clavecin de Willard Martin dans celle de devant, son lit de cuivre dans la chambre du milieu, son métier à tisser dans la pièce du fond qui fait suite à la cuisine et une table basse bricolée avec une planche et des caisses de récupération dans la salle-à-manger qui occupe l'espace central. Contre le mur de cette salle-à-manger, il se construit une grande armoire vitrée qui en occupe toute la surface, dans laquelle sont rangés ses livres, mais surtout ses collections de minéraux, passion qu'il a extrapolée de sa fascination pour les pierres précieuses La pièce du clavecin, qui donne sur l'avenue, et qui est orientée vers l'est, devient pour moitié une serre où prolifèrent les plantes vertes. Lorsqu'il se mettra à la photo quelque temps après, il installera une chambre noire dans la pièce du fond.

La reconnaissance officielle.

En 1978, Scott décide de se prévaloir d'une disposition du règlement intérieur de l'Université Laval, qui autorise un professeur, lorsque son parcours personnel le justifie, à demander une équivalence de doctorat, dans le cas où la poursuite de la carrière universitaire requerrait la possession d'un doctorat (Philosophiae Doctor ). Il est d'ailleurs le premier à se prévaloir de cette disposition. Et c'est ainsi qu'en avril 1978, il comparaît devant un jury composé de spécialistes de Toronto et de Calgary ainsi que de l'Université Laval, qui l'écoute pendant une heure, avant de le soumettre à la question. Il faut ici préciser que c'est les mains vides qu'il s'y serait présenté si Hubert Laforge ne lui avait recommandé d'emporter au moins ses disques (4) ‐‐ à l'époque, il avait réalisé Monsieur Bach, l'intégrale de Rameau, et l'intégrale de Couperin ‐‐ . Mais le jury doit vite se rendre compte, au moment des questions, de la valeur des connaissances du candidat, et l'équivalence de doctorat lui est accordée à l'unanimité, ce qui permet au doyen de la Faculté des Arts de le recommander, le 19 juin de la même année, pour le poste de professeur adjoint, si possible rétroactivement au 1er septembre 1977, ou, alternativement, à la date du diplôme d'équivalence de doctorat. Ce qui sera fait le 12 octobre, à la date du 1er juin '78.

En août '79, le contrat est prolongé au 31 mai '83, en vertu du temps partiel, ce qui occasionnera un litige avec l'Université, car celle-ci ne veut pas tenir compte de ses années de service comme assistant de Kenneth Gilbert dans le calcul de son ancienneté. Le directeur juge cette revendication légitime, mais le doyen s'oppose à sa titularisation (5) en vertu du jeune âge du professeur.

En même temps, il songe à déménager. Un vieux rêve le reprend, et il signe une option d'achat pour une maison ancienne à une vingtaine de kilomètres au nord de Québec, à Valcartier. A cette époque, je le voyais fréquemment à mon atelier, et il m'entretenait volontiers de ses projets. Il comptait, disait-il, s'y construire un orgue, en ouvrant le plafond du rez-de-chaussée, et autres projets mirobolants. Mais était-il vraiment préparé à l'isolement de la vie à la campagne, surtout en hiver ? Toujours est-il que le projet tomba à l'eau. Fut-ce un heureux prétexte ? Il dénonça le contrat au prétexte que le propriétaire avait enlevé la grande cuisinière en fonte qui servait de chauffage, et, pour ne pas risquer un mauvais procès, finit par s'arranger avec le propriétaire.

La candidature à la direction.

En 1979, le poste de directeur de l'EMUL doit être renouvelé. L'abbé Antoine Bouchard, organiste, ne se représentant pas, un petit groupe de professeurs s'inquiète de ce que la candidate à sa succession, Elise Paré-Tousignant, leur semblait représenter une continuité avec la ligne incarnée par l'abbé Bouchard, ligne naturellement conservatrice tout autant au plan musical qu'au plan organologique.

Un des collègues de Scott, Mr Martin Prevel, professeur de guitare impliqué dans des recherches pointues en informatique musicale, m'a confié s'être à l'époque inquiété de voir le peu de place et de considération qu'occupait cette recherche dans cette ligne de pensée. Scott, quant à lui, ainsi qu'un certain nombre de professeurs et d'élèves (6) , regrettaient que les courants les plus récents dans l'interprétation de la musique ancienne soient aussi mal considérés par les autorités de l'Ecole, et souhaitaient un apport de sang neuf.

Scott, appuyé par ces collègues, décide donc de présenter sa candidature au poste de Directeur de l'EMUL. Mais il heurtait ainsi tout un pan d'un certain conservatisme, non seulement au plan musical, mais aussi social, et il est bien connu que les étudiants ne sont pas nécessairement les plus révolutionnaires de tous ! Quant aux professeurs, beaucoup doutaient un peu de la capacité de Scott de tenir le rôle avec efficacité, mais certains voulaient néanmoins parier sur le contraire.

Le vote fut très serré, avec plusieurs tours de scrutin, et comme le nombre de votants était impair, le résultat n'a jamais dépassé 50,5%, avec des «trahisons», c'est-à-dire quelqu'un dont le vote a basculé en faveur de l'un, puis de l'autre, sans doute dans l'espoir de mettre fin au blocage. Mais il y eut une impasse, et les règlements de l'Université exigeant une majorité de 50% plus une voix, il fut décidé d'y surseoir et de nommer un directeur intérimaire (7) . Cette élection avortée sera vécue par lui comme un échec, ainsi que par Martin, qui, des années après, relatant ses faiblesses cardiaques et sous-entendant les pressions dont il avait été l'objet, refusait d'aller trop loin dans les confidences, de peur que son programme de recherches en souffrit.

Cet épisode aura du moins eu la vertu de rassurer ceux et celles qui, désireux de recevoir l'enseignement de Scott s'étaient, à la perspective de le voir élu et donc indisponible pour l'enseignement, inscrits ailleurs. Catherine Perrin sera de ce nombre.


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