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Michel-E. Proulx
SCOTT ROSS, CLAVECINISTE, Un destin inachevé
Biographie de Scott Ross, quatrième partie
LES CONCERTS.
Retour en France.
Se faisant remplacer par un collègue, Pierre Bouchard, et ne venant plus assurer à L'EMUL que d'épisodiques stages, il demande en 1983 un congé sans solde auquel il n'a théoriquement pas droit. Mais le vice-recteur aux relations humaines, André Boudreau, insiste pour qu'il lui soit accordé (1). Il revient donc à Assas et s'installe, non pas au château lui-même, mais dans une petite maison au coin de la Montée du château et de la rue de la Dougue que lui loue monsieur Astoury , juste à côté de celle que louent le ténor anglais John Elwes et son amie Nelly Allegraud.
Il loue aussi un studio au 15 de la rue Monge, à Paris, son pied à terre pour ses fréquents séjours dans la capitale, et, ainsi organisé, il se consacre à sa carrière de concertiste qu'il avait, non pas négligée pendant ces années d'enseignement, mais qui avait été quand même reléguée en seconde place. Il s'attache ainsi les services d'un agent qui lui obtient des engagements un peu partout, sans toujours d'ailleurs se préoccuper des contraintes géographiques.
Dernière tentative à Québec.
En 1985 il accorde à l'EMUL son dernier trimestre d'enseignement, puis, constatant le faible nombre d'élèves, il donne sa démission à l'EMUL. Sa lettre, datée d'Assas, le 27 juin 1986, est en forme de constat désabusé de ce qu'il a le choix entre une carrière qui commence vraiment, et un classe qui fait précisément le contraire, car, avec son départ, les élèves s'étaient raréfiés; c'était d'ailleurs l'un des points de programme de sa candidature à l'élection au poste de directeur, d'améliorer la communication extérieure de l'EMUL, pour y attirer d'avantage d'élèves étrangers. Scott se déclarait donc quelque peu découragé par la perspective d'avoir à reconstruire une classe digne de ce nom, mais jugeait néanmoins que le bilan de ces dix années d'enseignement était franchement positif. Sa démission était effective au 1er août, et fut reçue avec regrets (2).
L'urgence
A partir de là il ne fait plus que tourner et enregistrer. Et de disques en concerts, il devient rapidement le plus médiatisé des clavecinistes, jusqu'à attirer au clavecin, grâce à sa prestation un public bigarré dont bon nombre ne se seraient sans doute jamais intéressés au clavecin n'eut été de lui.
Il confie à plusieurs de ses connaissance avoir l'impression d'avoir fait le tour du clavecin. Il commence à songer de plus en plus à attaquer le répertoire du piano. Pourtant il tenait le fortepiano en sainte horreur (il parlait de «casseroles). Il fait plusieurs tentative pour trouver un poste d'enseignement en France, sans succès cependant, étant donné les normes de fonctionnement qui ont cours en ce pays. Mais déjà point l'urgence. Lorsque Catherine Perrin le voit en 1984, et que la rumeur sur le Sida s'enfle en un grondement terrifiant, il lui confie ses craintes. En effet, il avait, l'hiver précédent fait une bronchite qui avait dégénéré en pneumonie, et, sachant que c'était là une des maladies associées, il disait être « mort de trouille». Et il ajoutait qu'il ne voulait pas faire le test parce qu'il était sûr de se faire confirmer ce qu'il pensait. C'est peut-être là que se trouve la raison de l'intense activité qu'il a déployé pendant ses dernières années.
A la même époque, il s'était acheté une maison en Lozère qu'il retapait seul. Il possédait une vieille camionnette Peugeot dans laquelle il transportait de la pierre, du ciment, de la chaux, et il semble qu'il réalisait ainsi un rêve longtemps caressé: celui de s'installer à la campagne. Déjà à Québec, il avait voulu s'acheter une maison à la campagne, mais avait dû renoncer à ce projet, dans des péripéties judiciaires qui lui avaient d'ailleurs coûté assez cher. Et il déclarait en 1985 à un journaliste que de toute façon, à 40 ans, il arrêtait. «Je voulais vivre à la campagne, quand j'étais enfant, je voulais aussi être fermier» (3 )
Vers '87 ou '88, il fait venir à Assas sa tante Ella, la soeur de son père, ainsi que son frère. Puis, à l'hiver '88, il part au Canada donner un concert. Sur le chemin du retour, il s'arrête pour rendre visite à Hubert et Florence Laforge à Chicoutimi où Hubert Laforge est recteur de l'Université du Québec à Chicoutimi. Son état physique est tel qu'il est à ce moment visible pour le couple qu'il s'agit d'une visite d'adieu.
En avril 1989, il est à Rome, à la Villa Médicis, où, pour la télévision française, il donne une leçon de musique. On l'y voit très amaigri et affaibli par les atteintes de la maladie. Ne disposant pas de la sécurité sociale, il se soignait très mal et peut-être même ne voyait-il pas de raison valable pour se soigner correctement. On m'a rapporté qu'il prenait ce qu'il pouvait trouver comme médicaments, et que, peut-être (mais que ne ferait-on avec des 'peut-être'?) eût-il pu survivre, avec des soins efficaces.
En fait, Scott ne s'était jamais soucié des aspects administratifs de sa situation et il était, aux yeux de l'administration française, étranger en situation irrégulière, ce qui lui niait de toute façon l'accès à la sécurité sociale. Evidemment, étant arrivé en France à quatorze ans et n'ayant pratiquement aucune attache aux Etats-Unis, et peu au Québec, on peut aisément comprendre cette négligence. Mais la préfecture avait, semble-t-il, entrepris de l'expulser; ce qui serait peut-être arrivé n'eût été de l'action de certains membres de la DRAC (4) qui représentèrent au préfet le ridicule qui l'attendait face aux médias, le cas échéant.
Pendant les derniers mois, il sera veillé par des amis, surtout le facteur David Ley, auteur de son second clavecin à deux claviers, et Monique Davos, qui avait été régisseur à la musique ancienne, lors du premier Festival de Radio-France et de Montpellier, en 1983. D'après les témoignages, il existait une sorte de concurrence entre ces deux pour les soins à Scott, et celle-ci était partisan de l'acharnement thérapeutique. Il faudra, semble-t-il, une lutte homérique entre elle et ceux qui veulent qu'il meure en paix. Finalement, son frère James Ross, arrivé là pour rendre visite, ramène Scott à Assas, à la fin mai.
Le 13 juin suivant, il s'éteint dans sa petite maison d'Assas. Son frère l'assiste jusqu'à la fin. Comme, évidemment, Scott n'avait rien prévu pour la circonstance, c'est James qui veillera à tout, et c'est lui qui demandera que les droits des disques soient versés au profit d'un organisme destiné à aider les jeunes clavecinistes. Je n'ai malheureusement pas pu retrouver trace de cet organisme, pas plus d'ailleurs que du frère de Scott.
Après l'incinération au Centre Funéraire de Grammont, à Montpellier, ses cendres seront selon sa volonté dispersées au dessus d'Assas par un petit avion.